mardi 28 février 2012

Phnom Penh - Pour la mémoire

Phnom Penh en 1975, vidée  par les Khmers rouges.
Quand on se promène dans la pétillante Phnom Penh d'aujourd'hui, on a du mal à imaginer qu'en 1975, quand les Khmers rouges sont arrivés au pouvoir, la ville est devenue, comme tout le Cambodge à l'époque, le théâtre de désolation et d'atrocités sans nom. J'avoue qu'avant de voir ce que j'ai vu ici, et de lire quelques livres sur le cauchemar qu'a vécu la population pendant quatre ans, j'étais TRES loin du compte. Consacrer une journée au devoir de mémoire n'était vraiment pas de trop. C'est en compagnie de Jonathan, expat' à Hong Kong et en vacances pour quelques semaines au Cambodge, que j'ai entrepris les visites du lycée rebaptisé S-21, devenu la prison la plus horrifiante du pays, et du camp d'extermination de Choeung Ek, à une quinzaine de kilomètres de la capitale. Et pour tout dire, j'étais plutôt contente qu'on soit deux... pour supporter l'insupportable.

Le lycée S-21, en plein coeur de la capitale, a en fait été transformé par les Khmers rouges en un centre de détention et de torture redoutablement organisé, sous la direction de Dutch. On y amenait toute personne susceptible de s'opposer au régime. Au début, cela a concerné la classe militaire et politique, ainsi que l'élite intellectuelle. Mais dans le délire parano de Pol Pot, les critères sont devenus n'importe quoi : porter des lunettes, avoir les mains soignées... Hommes, femmes et enfants... les murs du lycée sont couverts des 17000 victimes de la prison S-21.

 

Les différents bâtiments avaient des attributions particulières. Certaines salles de classe ont été compartimentées en de minuscules cellules où les prisonniers avaient juste la place de s'allonger. D'autres ont été transformées en salle de torture. Les tortionnaires n'avaient pour la plupart qu'un quinzaine d'années... 
L'horreur absolue de ce qui s'est passée ici m'a semblé renforcée par la quiétude des lieux. Dans la cour, les arbres distillent une merveilleuse odeur de monoï. Et l'ombre des préaux est tellement rafraîchissante...


Sous la torture, les prisonniers du S-21 finissaient par avouer ce qu'on voulait leur faire dire, et ils étaient alors déportés, de nuit, dans le secret, au camp de Choeung Ek, où ils étaient exterminés selon diverses méthodes peu coûteuses, et jetés dans d'énormes fosses-charniers. Là-encore, la tranquillité, la douceur des lieux aujourd'hui est difficilement soutenable, quand, au fur et à mesure de la visite, l’audioguide (d’une dignité remarquable, d'ailleurs) déballe 1h30 d’atrocités sur un ton serein et bienveillant. C’est pourtant la surenchère de l’horreur qu'on découvre, sous nos pieds-mêmes, plus de 30 ans après : des bouts d’os et des fragments de vêtements affleurent encore au sol. "Prière de ne pas marcher dessus", est-il demandé aux visiteurs... En quatre ans, un quart de la population du Cambodge, soit près de 2 millions de personnes, aura été exterminé.

Que dire... rien ne pourra décrire la claque que je me suis prise en pleine figure en découvrant ces lieux. Mais ce qui m'a peut-être le plus choquée, c'est cette image récente, d'un des sept survivant du S-21, bras dessus-bras dessous avec un ancien tortionnaire, tous deux affichant un sourire radieux. Désir de réconciliation nationale ???? Et oui, et d'ailleurs, tout le monde fonctionne ça au Cambodge : les anciens Khmers rouges sont encore vivants, certains même sont au pouvoir, et tout le monde fait avec. C'est arrivé, c'est tout. Il y a certainement des perceptions qui m'échappent, car je ne connais pas assez le pays, mais il me reste tout de même une question : où est la colère de ce peuple meurtri, cette colère saine, qui pourrait empêcher qu'un drame pareil ne se reproduise ? Je n'ai vu de colère nulle part, ni dans le sourire désarmant des habitants, ni dans cet audioguide ultra-documenté de Choeung Ek, ni surtout dans le discours des gens avec qui j'ai pu discuter du procès en cours.  Je n'arrive pas à comprendre. Vraiment pas. Sans doute les Khmers d'aujourd'hui n'ont-ils pas le choix pour continuer d'exister, malgré tout.

5 commentaires:

  1. cf mon message dernier laissé sur la page Battambang

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  2. Ce que tu dis est poignant et ta photo de crânes ne l'est pas moins.
    Je ne savais pas que le procès était toujours en cours.
    Merci de ton témoignage !

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    1. En effet, c'est vraiment incompréhensible que tu n'aies pas rencontré de colère ni de rancune ; l'être humain est décidément insondable...

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    2. Mais quelle horreur. Encore un génocide qui est aujourd’hui quasi passé sous silence, et dont personne ne parle plus. Je te rejoins dans tes questionnements, comment accepter et vivre avec l’inacceptable ?? C’est affreux. Je pense que ma soirée va être pleine de questionnements…
      Merci pour ce témoignage, ca remet les idées en place, comme tu dis c’est une bonne claque dans la gueule qui laisse à réfléchir.

      Je t’embrasse très fort

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  3. Tes photos et tes commentaires me rappellent une visite effectivement horrifiante. Comment des hommes peuvent ils accomplir des actes aussi cruels - les animaux ne le font pas ! c'est vrai que que nous sommes à mille lieues de la culture khmer et qu'on a du mal à comprendre une certaine "placidité" ; en même temps, si le temps n'apporte pas un peu d'oubli, il n'y a pas de vie possible.
    Tes photos sont superbes et c'est toujours un plaisir de te suivre dans ton périple - merci pour ta jolie carte postale ; nous attendons avec impatience tes récits de vive voix gros bisoux Armelle

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